Achats responsables : quand la fonction Achats devient vecteur de transition durable

Les « achats responsables » ou « achats durables » désignent l’intégration systématique de critères environnementaux, sociaux et éthiques dans le processus d’achat.

La définition la plus largement reconnue est celle de la norme ISO 20400 :2017, qui invite tout acheteur, public ou privé, à aligner son sourcing sur les principes de l’ISO 26000 relatifs à la responsabilité sociétale des organisations.


Une poussée normative sans précédent

En France, la dynamique réglementaire s’est accélérée depuis la loi relative au devoir de vigilance (2017), qui oblige les grandes entreprises à prévenir les atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement dans leur chaîne de valeur. L’Europe lui a emboîté le pas avec la directive sur le devoir de vigilance élargie, adoptée en mai 2024 : à partir de 2029, les groupes de plus de 1 000 salariés et 450 M € de chiffre d’affaires devront démontrer qu’eux‑mêmes et leurs partenaires atténuent activement leurs impacts négatifs, sous peine d’amendes pouvant atteindre 5 % du chiffre d’affaires mondial.

Le secteur public n’est pas en reste : le Plan national pour des achats durables 2022‑2025 fixe l’objectif de 100 % de contrats comportant au moins une clause environnementale et 30 % une clause sociale d’ici 2025, afin d’anticiper les obligations posées par la loi Climat et Résilience (2021).


De l’éthique à la stratégie : vingt ans d’évolution

Au début des années 2000, les directions achats ont d’abord publié des codes de conduite fournisseurs sans véritable moyen de contrôle. La décennie 2010 voit l’émergence d’indicateurs mesurables : bilan carbone, audit social, notation tierce (EcoVadis, etc.). Avec la parution de l’ISO 20400 en 2017, la profession se dote d’un référentiel commun qui fait passer le sujet du registre « éthique » à celui de la performance globale. Dans la foulée, la loi AGEC (2020) introduit l’économie circulaire dans la commande publique, et la directive européenne CSRD (2022) inscrit la durabilité dans le reporting financier : les achats sont désormais attendus au même niveau de robustesse que les états financiers.


Comment ça marche ? Méthodologie et leviers

Un programme d’achats responsables se structure autour de trois étapes :

  1. Cartographie des dépenses et des risques : qui achète quoi, où et auprès de qui ?
  2. Définition de critères ESG pertinents par catégorie : contenu recyclé, empreinte carbone, conditions de travail, insertion, etc.
  3. Suivi et amélioration continue : contractualisation d’objectifs, audits, plans d’action et reporting extra‑financier.

La gouvernance est cruciale : sans un référentiel fournisseurs unique, sans données d’achats fiabilisées ni arbitrages clairs entre coût, risque et impact, la stratégie se délite.


Bénéfices attendus

Une démarche mature procure quatre gains majeurs :

  • Réduction des risques réglementaires et réputationnels (travail forcé, pollution, corruption).
  • Accès à l’innovation : l’éco‑conception ou l’inclusive sourcing ouvre la porte à de nouveaux fournisseurs et marchés.
  • Optimisation du coût complet : l’analyse du cycle de vie révèle souvent des économies sur l’énergie, la maintenance ou la fin de vie.
  • Création de valeur de marque et accès à la finance durable : les investisseurs intègrent désormais les notations ESG dans leurs décisions.

Obstacles et zones grises

Les freins restent nombreux : qualité disparate des données entre filiales, surcharge administrative pour les PME, surcoût apparent de certaines solutions durables, risque de greenwashing si les indicateurs ne sont pas audités. La loi Climat et Résilience tente d’y répondre en imposant des outils d’analyse du coût du cycle de vie et des SPASER plus précis, mais nombre d’acheteurs peinent encore à transformer l’essai.


SNCF – industrialiser l’inclusion et la décarbonation

En 2024, SNCF Réseau affiche 36 M € d’achats responsables, dont 11 M € auprès d’entreprises de l’économie sociale et solidaire et 25 M € via des clauses d’insertion. L’entreprise a aussi consacré 780 000 heures à l’inclusion sociale sur ses marchés. Parallèlement, 75 % de ses appels d’offres intègrent une évaluation carbone, avec l’objectif de porter ce critère à 5 % de la note finale d’ici 2026.

L’approche est double : stimuler l’écosystème ferroviaire vers la neutralité carbone tout en contribuant à la ré‑industrialisation et à l’emploi inclusif en France.


Carrefour – aligner le top 100 fournisseurs sur 1,5 °C

Le distributeur a lancé en 2024 un ultimatum à son Top 100 fournisseurs : disposer d’une trajectoire compatible 1,5 °C validée par SBTi avant fin 2026, sous peine de déréférencement. Fin 2024, 53 d’entre eux étaient déjà alignés. Carrefour a en parallèle noué un partenariat avec l’ADEME pour aider 150 PME agro‑alimentaires à construire un plan climat, avec un financement public couvrant jusqu’à 80 % des coûts d’accompagnement.

Ce dispositif montre comment un grand donneur d’ordre peut diffuser l’exigence carbone dans tout son réseau de fournisseurs, accélérant ainsi la transition sectorielle.


Tendances 2025 – 2030

  • Data & IA : classification automatique des achats et scoring ESR (environnement, social, résilience).
  • Économie circulaire : obligations croissantes de contenu recyclé (loi AGEC) et de durée de vie prolongée.
  • Financement lié à la performance durable : taux de crédit indexé sur la réduction des émissions du scope 3.
  • Transparence totale : la CSRD exige un audit externe des indicateurs, rendant toute approximation plus risquée.

Conclusion

Longtemps perçus comme un supplément d’âme, les achats responsables deviennent un impératif stratégique encadré par des normes et des lois de plus en plus contraignantes.

Les exemples de la SNCF et de Carrefour montrent qu’en France, les directions achats savent transformer cette contrainte en avantage compétitif, qu’il s’agisse de sécuriser leur chaîne de valeur ou de renforcer l’attractivité de leur marque.

La prochaine étape ? Généraliser des référentiels de données fiables et faire de la performance ESG un critère aussi naturel que le prix et la qualité.
Alors, les achats responsables auront vraiment changé d’échelle et, peut‑être… de monde.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut