Relation fournisseurs et Gouvernance : comment les comités créent de la valeur ?

La comitologie dans la relation fournisseurs : gouverner sans alourdir

Dans le langage de la Commission européenne, la « comitologie » désigne les mécanismes de contrôle par lesquels les États membres supervisent les décisions d’exécution de Bruxelles. Ce terme un peu austère a été repris, par glissement, dans le monde de l’entreprise pour désigner un tout autre objet : l’architecture des comités qui jalonnent la relation avec les fournisseurs.

Comités de pilotage, comités de performance, comités stratégiques… tous visent à structurer le dialogue et la prise de décision dans des chaînes d’approvisionnement de plus en plus complexes. S’il est bien calibré, ce système peut devenir un levier puissant de création de valeur. À l’inverse, mal pensé, il alourdit les processus et dilue les responsabilités.


Pourquoi la comitologie s’est-elle imposée dans les achats ?

La généralisation de la comitologie dans la gestion fournisseur s’explique d’abord par un phénomène de fond : la complexification des chaînes de valeur.

Dans de nombreux secteurs industriels, la part des dépenses externalisées représente aujourd’hui entre 50 et 80 % du coût complet des produits. Chez Airbus, ce ratio dépasse les 75 %. Dès lors, il devient indispensable de structurer la relation avec les partenaires externes autour de jalons clairs : quoi, quand, comment et avec qui décide-t-on ?

Cette logique de gouvernance est aussi poussée par les exigences croissantes en matière de conformité réglementaire et de responsabilité sociale. Les lois sur le devoir de vigilance ou sur la lutte contre la corruption (comme la loi Sapin 2 en France) ont renforcé le rôle de la direction achats dans la chaîne de contrôle interne.

Autre élément, plus culturel : le monde de l’entreprise a, parfois sans s’en rendre compte, intégré une logique “européenne” de gouvernance, dans laquelle on délègue l’exécution mais sous supervision collégiale. On retrouve ainsi dans les comités fournisseurs le même principe qu’à Bruxelles : “la Commission propose, les États membres contrôlent”.


Quels sont les bénéfices d’une comitologie bien structurée ?

Mis en place avec méthode, ce système de comités apporte de réels atouts.

D’abord, il offre une meilleure visibilité à la direction générale sur les enjeux fournisseurs critiques. Un comité stratégique biannuel permet d’alerter sur les risques en matière de dépendance, de qualité ou de RSE.

Ensuite, la comitologie sécurise les décisions : les engagements prix, les feuilles de route d’innovation ou les plans de progrès sont discutés dans un cadre formel, avec des comptes rendus, des responsabilités claires et une traçabilité.

Sur le plan du pilotage des risques, la logique des comités apporte aussi un filet de sécurité.
👉 Chez Schneider Electric, les fournisseurs sont évalués selon une grille de risques ESG, cyber et conformité. Les fournisseurs les plus sensibles (environ 1 400 sur 50 000) font l’objet d’un plan d’audit validé chaque trimestre par un comité de pilotage dédié.

👉 Airbus, de son côté, a lancé en 2022 un “Supplier Sustainability Council” réunissant les douze fournisseurs les plus stratégiques, afin de co-piloter les objectifs de décarbonation. Loin d’un dispositif descendant, il s’agit d’un espace de dialogue à haute valeur ajoutée, qui engage le fournisseur dans la durée.


Les dérives d’un système mal maîtrisé

Mais la comitologie n’est pas sans risques. Le principal écueil est bien connu : la multiplication des comités peut engendrer une bureaucratie paralysante.

À force de superposer les niveaux (comité projet, comité performance, comité stratégique…), on perd en clarté décisionnelle. Qui tranche vraiment ? Sur quels critères ? Avec quels délais ? Trop souvent, les mêmes sujets sont abordés à plusieurs niveaux, sans que cela n’apporte plus d’efficacité.

Par ailleurs, le coût caché des comités est rarement mesuré : entre la préparation, l’analyse des données, la coordination des agendas et la rédaction des comptes rendus, une simple revue trimestrielle peut mobiliser plusieurs journées-hommes.

Certaines organisations tombent même dans la “comitocratie” : toute décision devient prétexte à créer un nouveau comité. On ne pilote plus, on se protège. Cette dérive est d’autant plus insidieuse qu’elle repose souvent sur une bonne intention initiale : mieux maîtriser les risques.


Les nouvelles tendances : vers une comitologie plus agile

La comitologie fournisseurs évolue à grands pas. Trois tendances fortes se dégagent.

1. La digitalisation des données

Les comités ne sont plus là pour faire le point, mais pour décider. Des outils SRM permettent aujourd’hui d’alimenter automatiquement les KPI dans des dashboards partagés. Résultat : moins de temps perdu à collecter l’info, plus de temps consacré à l’analyse et à l’action.

2. L’intégration des critères RSE

Avec la directive CSRD, les entreprises doivent désormais produire des données extra-financières vérifiables. Les comités fournisseurs deviennent des lieux naturels pour piloter ces trajectoires.
👉 Carrefour, par exemple, exige une compatibilité avec une trajectoire climat 1,5 °C de la part de ses 100 principaux fournisseurs. Ce type de pilotage nécessite un cadre de gouvernance robuste.

3. L’ouverture aux fournisseurs

Certains comités stratégiques ne sont plus réservés aux seuls représentants de l’acheteur.
👉 Chez Airbus, les fournisseurs siègent désormais au Supplier Sustainability Council, pour mieux partager diagnostics et co-construire des solutions à long terme.


Quelles bonnes pratiques pour une comitologie efficace ?

Voici quelques principes simples pour tirer le meilleur parti d’une gouvernance par comités :

  • Cartographier les décisions : qui décide quoi, et à quel niveau ?
  • Définir des seuils clairs : éviter de réunir un comité stratégique pour valider une dépense mineure.
  • Limiter la fréquence : une réunion stratégique semestrielle peut suffire si elle est bien préparée.
  • Préparer les données à l’avance : pour concentrer la réunion sur l’analyse, pas sur la collecte.
  • Évaluer périodiquement chaque comité : a-t-il encore une valeur ajoutée ? Décide-t-il réellement ?

En conclusion

Souvent critiquée pour sa lourdeur, parfois redoutée pour sa technicité, la comitologie peut pourtant devenir un véritable levier de pilotage stratégique dans les relations fournisseurs. À condition de ne pas en faire une fin en soi, mais un outil utile, structuré, pensé comme un produit.

Dans un environnement d’affaires soumis à des chocs systémiques — sanitaires, géopolitiques, climatiques — savoir concevoir une comitologie “intelligente” devient une compétence-clé pour toute direction achats.

Gouverner, c’est aussi savoir décider au bon niveau, au bon moment, avec les bonnes personnes autour de la table.

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